Issues de ces deux dernières années d’intense création, les œuvres de Natacha Mercier réunies à la Michèle Schoonjans Gallery s’inscrivent dans la continuité de sa démarche tout en ouvrant une nouvelle étape dans sa recherche. Après s’être intéressée de près aux œuvres fameuses de l’histoire de l’art et en particulier à la question du nu, de la représentation du corps et de la nature morte, ainsi qu’au diaphane de la blancheur immaculée, Natacha Mercier a ouvert un nouveau champ fécond d’expérimentations plastiques autour de la forêt et de la thématique de la nuit. C’est en toute logique que Natacha Mercier poursuit aujourd’hui sa quête picturale singulière à travers le noir et l’obscur. Quoi de plus naturel pour cette artiste qui travaille autour des limites de la vision que de se consacrer au sombre qui efface et fait disparaitre toutes formes. Comme dans ses œuvres plus anciennes, la quête de l’artiste est toujours de donner une consistance à ce qui semble évanescent, impalpable et irreprésentable. Sa plongée dans le nocturne et dans la forêt est encore une manière pour l’artiste de jouer avec la lumière, non plus par son éblouissement mais par sa quasi-absence.
Au fil des saisons et des heures, Natacha Mercier trouve dans la forêt des combinaisons foisonnantes de formes, d’effets de perspective, d’ombre et de lumière. La forêt constitue pour l’artiste un vaste terrain d’expériences qui lui offre d’exprimer toute l’étendue de sa virtuosité picturale. Dans chacune des œuvres de la série des « Queens », l’artiste explore une grande diversité de compositions et de traitements de la lumière. Toujours profondément nourri par des références artistiques, son travail est également le fruit de son expérience sensible du monde. Son intérêt pour la forêt est une façon de renouveler ses sujets et de revenir en quelque sorte à un état de nature vierge. L’artiste travaille en effet d’après-photo et ne fait pas explicitement référence à des œuvres existantes. Dans la série des « Queens », l’artiste fait notamment appel à ses souvenirs d’enfance et restitue la rémanence de différentes images et sensations premières vécues lors de promenades nocturnes qui lui permettent de reconstituer une forêt fictive. À travers les branchages et la ramure des arbres, l’on distingue une lueur dans le lointain. Ce faible halo de lumière qui transperce la noirceur apporte un effet de flou comme si l’image décrivait une expérience mêlée de l’espace et du temps. Dans ses œuvres comme « Je n’ai pas peur du vide », l’artiste nous invite à appréhender une balade en forêt la nuit comme une plongée dans l’inconnu ou comme un saut dans le vide. Non sans une certaine dimension romantique, il se dégage de ses œuvres une paradoxale matérialité de la nuit. Tout se déroule comme si à force d’attention l’image se constituait sous nos yeux à mesure que la vision extérieure s’affine en l’absence de lumière diurne. C’est par un processus de réduction au minimum et une logique du peu que l’artiste donne corps à la lumière du ciel nocturne.
Par leurs surfaces parfaitement lisses qui ne cessent d’osciller entre opacité et transparence, entre surface matérielle concrète et illusionnisme, entre figuration et abstraction, les tableaux de Natacha Mercier instaurent une mise en situation du regard, un dispositif de réception et un jeu de scénographie. Dépouillés de toute référence culturelle, ses paysages nocturnes retrouvent une fonction purement exploratoire du monde de l’expérience et du vivant. L’artiste révèle la part de la nuit dans l’activité créatrice comme un matériau originel donnant naissance à une nature rêvée, à des spatialités et des luminosités originelles. Dans l’autoportrait « Quand je regarde le monde », l’artiste instaure un face-à-face troublant avec le spectateur en se présentant en quelque sorte masquée, la main devant son visage. L’artiste regarde pour ainsi dire le monde à travers ses mains. Par ce geste, elle symbolise le retrait du monde nécessaire à la création d’une œuvre, comme si le regard du peintre demandait une forme de détachement du monde et de retrait dans l’obscurité loin de la lumière aveuglante du soleil. Plutôt que de mettre l’accent sur le phénomène visible du processus créateur, l’artiste aborde ici la dimension introspective, cérébrale et métaphysique de l’activité picturale, faisant un lien métaphorique entre obscurité et intériorité. Au fond, l’entreprise des peintures noires de Natacha Mercier pourrait tenir en une seule question : Que se passe-t-il pendant la nuit, durant notre sommeil ? L’exposition « Into the Twilight » constitue une réponse en se présentant elle-même comme une déambulation dans les méandres de la nuit.
Jérôme Carrié (F) octobre 2024, commissaire d’expositions, critique d’art et conférencier.