Artistes contemporains majeurs, Gabriel Belgeonne et Thierry Lenoir exposent, parmi leurs œuvres, une sélection d’estampes qui ont en commun d’avoir été imprimées exclusivement au départ de bois gravés ou de linos. Portés par une impérieuse nécessité de créer, l’un et l’autre ont développé un langage personnel fort, immédiatement identifiable, où le noir et le blanc, le positif et le négatif, se déclinent en de multiples possibles. Le contraste saisissant proposé par cette rencontre entre deux univers singuliers interroge immédiatement le spectateur, le bouscule dans ses habitudes et l’invite, dans un double voyage, tant à la méditation qu’à la jubilation.
Né le 30 mai 1935 à Gerpinnes (Belgique), Gabriel Belgeonne compte parmi les artistes les plus actifs de sa génération. À la fin de son adolescence, révolté contre la terre entière, il décide d’entamer des études artistiques. Il pense, dans un premier temps, s’orienter vers l’architecture. Il opte finalement pour la peinture et entre à l’Académie des Beaux-Arts de Mons. À ce propos, il confiera : Tout ce qu’on m’avait raconté sur la peinture lors de mes études était insuffisant ! En 1964, il rencontre Gustave Marchoul qui lui apprend les rudiments du métier de graveur. Cependant, c’est en autodidacte que Gabriel Belgeonne se perfectionne et trouve sa voie : En faisant de la gravure, j’ai redécouvert la fonction de la couleur, des volumes, des lignes. Peintre, graveur, mais aussi éditeur et pédagogue, il enseigne de 1966 à 1990 à l’Académie des Beaux-Arts puis à l’École supérieure des Arts plastiques et visuels de l’État à Mons et, de 1990 à , à l’École nationale des Arts visuels de La Cambre à Bruxelles. En 1974, il fonde Gravures Tandem, une association destinée à promouvoir et encourager la création, qui devient en 1984, les Éditions Tandem.
Gabriel Belgeonne expose régulièrement tant en Belgique qu’à l’étranger. Il illustre, entre autres, des textes de François Jacqmin, Philippe Jones, Pascale Tison, Yves Namur ou encore Michel Voiturier. L’artiste est honoré par de nombreuses distinctions dont, en , le Prix Achille Béchet, décerné par la Province de Hainaut et destiné à récompenser l’auteur d’une œuvre majeure. Ce prix lui est attribué pour son travail artistique ainsi que pour saluer le travail éditorial accompli par les Éditions Tandem qu’il dirige, aujourd’hui encore, avec son épouse Thérèse Dujeu.
Ses créations sont essentiellement nourries par sa réflexion personnelle, mais aussi par ses rencontres avec de nombreux artistes, écrivains ou philosophes. Ses gravures, il les aborde intérieurement de la même manière que ses peintures, seule la technique est différente. Son premier geste détermine toute une cascade d’événements (traits, matières, superpositions, symboles, traces parfois infimes qui intriguent) dont la finalité offre d’inépuisables possibilités d’interprétations. Car l’artiste ne souhaite pas imposer son univers, mais bel et bien inciter le spectateur à inventer le sien.
Né le uillet 1960 à Soignies (Belgique), Thierry Lenoir est diplômé de l’École supérieure des Arts plastiques et visuels de l’État à Mons. C’est en 198ors de sa dernière année d’étude, qu’il trouve sa voie. Sa rencontre avec Gabriel Belgeonne est déterminante. Ce dernier l’encourage à bosser, bosser et rebosser ! Un prix du Rotary Club de Mons et une sélection avec une eau-forte pour la Biennale de Cadaqués (Espagne) le décident à persévérer.
Diplôme en poche, il connaît des hauts et des bas. Après chaque nouvelle série de gravures, il retourne voir son ancien professeur. Si celui-ci ne mâche pas ses mots, sa critique est toujours constructive. Il incite le jeune artiste à montrer son travail, à rencontrer d’autres graveurs et lui propose des expositions. En 1990, Thierry Lenoir obtient le Prix de la Gravure de la Communauté française de Belgique. Depuis, il expose régulièrement tant en Belgique qu’à l’étranger. Il illustre des textes de Pascale Fonteneau, José Moinaut et Denise Engels notamment. Ses travaux sont publiés dans plusieurs maisons d’édition dont Tandem, Éléments de langage, La Pierre d’Alun ou encore La Taupe.
Thierry Lenoir est un graveur acharné, un provocateur, un véritable artiste ou, comme le disait Gabriel Belgeonne en 1991 déjà, un merveilleux chroniqueur des mœurs de notre époque. Son œuvre, riche et généreuse, décortique sans tabou et sans concession les mondes interlopes, le sexe, l’alcool, la drogue, l’argent, la perversion, la perfidie, la folie humaine, la morosité ambiante, l’indifférence générale face aux injustices mais aussi, plus récemment, la déliquescence du corps et le désir de s’évader vers d’autres cieux. Les compositions de l’artiste, suivant l’heure du jour ou de la nuit, sentent bon le rock’n’roll ou le blues. Son art (synthèse toute personnelle d’un style à la fois narratif, expressionniste, surréaliste, urbain ou encore populaire) reflète parfaitement sa façon d’être : s’il cache derrière sa carapace un cœur tendre, Thierry Lenoir est un authentique rebelle, un électron libre qui ne cherche pas à plaire. À l’instar de ses personnages à fleur de peau, il touche droit au cœur, droit au ventre.

Grégory Marszalkowski