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Vu l’ancienneté de l’urbanisation des quartiers du centre-ville, le visiteur ne s’y attend pas particulièrement à découvrir des bâtiments de style Art nouveau. Pourtant, une observation attentive permet de repérer plusieurs exemples plutôt originaux de ce courant, érigés entre les années 1895 et 1920, au gré des travaux de modernisation de certaines rues ou de mise au goût du jour des magasins. Les nouvelles devantures des ‘temples de la consommation’ reflètent en particulier l’essor économique considérable de la région à cette époque. Un trait particulier de ce circuit est donc de faire découvrir de nombreux témoignages de l’architecture commerciale, parfois riches en symboles, ainsi que quelques ‘maisons de rapport’, un nouveau type d’immeuble apparu à la fin du XIXe siècle qui associe des activités économiques au rez-de-chaussée et des appartements locatifs aux étages. Nous nous pencherons notamment sur des réalisations de l’architecte Arthur Snyers, qui a dessiné plusieurs bâtiments monumentaux pour de grands commerçants liégeois.
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L’entrepreneur J. Simonis a construit ce bâtiment pour les frères Koninckx au cours de la décennie 1910. Il s’agit dès le départ d’un immeuble ‘de rapport’, avec location séparée de cellules commerciales au rez-de-chaussée et d’appartements aux étages. Impressionnante par sa taille et sa composition symétrique, la façade combine des éléments de différents styles. Les frontons triangulaires des lucarnes et la corniche à denticules sont des motifs classiques. Mais de nombreux détails ont été empruntés au répertoire décoratif de l’Art nouveau : garde-corps métalliques en formes d’insectes, pierres aux formes organiques de la loggia au-dessus de l’entrée, avec leurs feuilles sculptées à la base de l’encadrement, visages symbolistes au sommet des pilastres (une véritable mode de l’époque que nous retrouverons souvent dans le circuit). Les châssis ont été remplacés à l’identique vers 2010.
Comme l’indique la date inscrite en chiffres romains, le bâtiment du Collège a été construit au milieu des années 1920 sur des plans de l’architecte Verlinden. Les parties en pierre sculptées témoignent toutefois de nombreuses réminiscences de l’Art nouveau, alors pourtant déjà passé de mode. C’est d’autant plus étonnant que ce style avait été plutôt rejeté par le courant catholique. Une observation attentive de la façade permet ainsi de découvrir de nombreux décors végétaux naturalistes : couronnes de roses, feuilles de lauriers, guirlandes de lierre… certains éléments plus structurels témoignent aussi de cet héritage Art nouveau : soubassement en pierre bleue de la porte, formes courbes au niveau du couronnement… Ces motifs sont logiquement associés à des symboles catholiques : crosse et mitre d’évêque, bible, croix, devise ‘non recuso laborem’ (je ne peux refuser la tâche). Le blason est celui de l’évêque de Liège contemporain de la construction, Martin-Hubert Rutten.
Le visiteur qui souhaite prendre une pause désaltérante trouvera ici un café avec un authentique décor de la période 1900, qui nous permet de ressentir l’atmosphère de l’époque. Les lambris en carrelage comportent d’intéressants motifs avec grappes de raisins et feuilles de vignes tombantes.
Le bâtiment d’angle avec la rue Sébastien Laruelle a été conçu pour le dentiste Oury par l’architecte Paul Jaspar, un des grands maîtres liégeois de l’Art nouveau. Le style réemploie de nombreuses caractéristiques de l’architecture mosane traditionnelle : alternance de briques et de cordons de pierre calcaire, fenêtres à croisée de pierre, vitraux à petits plombs, corniche débordante sur supports en bois, faux colombage sur l’oriel… Quelques traits symbolistes ou Art nouveau ont néanmoins été intégrés, comme le toit plat et les grilles en forme de feuilles au niveau des soupiraux. Le linteau au-dessus de la porte principale intègre une tête sculptée par l’artiste Berchmans, représentant un visage tourmenté comme absorbé par une vague de désespoir. Une allusion à l’inquiétude des patients ? D’autres têtes surprendront les visiteurs qui porteront le regard vers les structures en bois de la loggia au sommet de l’angle de la façade.
Ces maisons jumelles ont été dessinées en 1903 par l’architecte Arthur Snyers. Elles présentent une organisation rigoureusement identique : la bretèche latérale éclairant les cages d’escalier est alors une nouveauté, qui devient une véritable habitude chez cet architecte. Les briques blanches, vertes et bleues sont un autre trait de modernité. Toutefois, de nombreux détails varient entre les deux façades, témoignant de l’obsession de l’époque pour la personnalisation de chaque bâtiment. La comparaison ressemble à un jeu des 7 erreurs : forme des baies, matériaux des oriels ou bow-windows (pierre ou bois), forme du fronton-pignon (en pointe ou arrondie), motifs des ferronneries (triangles à gauche, formes courbes à droite), sexe des têtes de support des oriels (homme ou femme)… Malgré la disparition de nombreux éléments comme les vitraux ou les panneaux de sgraffites, des détails amusants peuvent toujours être observés, comme les élégantes accroches végétales au-dessus de l’oriel, et surtout le panneau d’allège représentant un brochet au milieu d’une végétation aquatique.
La maison de l’architecture Paul Jaspar a été réalisée en 1896. Le décor est encore clairement marqué par les références aux styles historiques, et en particulier à la Renaissance : fronton triangulaire, lucarnes, vitraux aux motifs symétriques de l’oriel… Le parement combinant briques rouges et de pierre calcaire est aussi une référence à la tradition de l’architecture mosane du XVIIe siècle, fréquente dans l’œuvre de l’architecte comme nous l’avons déjà vu avec la maison Oury. Le sgraffite décoré d’un ange brandissant un fil à plomb au sommet d’une colonne est une allégorie de l’architecture, également indiquée en lettres grecques dans le phylactère situé à ses pieds.
Le vaste complexe de la salle du Forum a été aménagé au début des années 1920 au cœur d’un vieil îlot, à l’initiative de l’entrepreneur Arthur Mathonet. Les plans ont été conçus par l’architecte Jean Lejaer, dans un style de transition : si les décors intérieurs comme les vitraux affichent déjà clairement les traits plus géométriques de l’Art déco, des éléments de la façade latérale du côté de la rue d’Amay montrent des lignes courbes plus naturalistes encore marquées par l’Art nouveau. C’est manifeste pour les panneaux qui accueillaient les affiches, avec le lettrage organique du mot ‘programme’.