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Zaman, cet homme unique pour la région !
C’est en 1879 que s’installa la première ligne de chemin de fer privée entre la gare de Noville-Taviers et le village d’Ambresin. C’est le Baron monsieur Joseph Emmanuel Zaman, industriel fortuné installé alors au château de Wasseiges, qui fut à l’origine de l’installation de cette ligne au départ destinée au transport des betteraves. Pour obtenir la concession définitive, l’État belge exigea que, parallèlement au transport des marchandises, le transport des villageois des différents villages traversés soit assuré. Cette obligation créa une dynamique sociale particulière entre les habitants des villages concernés par les 9446 mètres du tracé de la petite ligne.
Aujourd’hui, les petites gares sont toujours en place ; il reste quelques clichés et anecdotes du temps passé qui donnent envie de repartir sur les traces de ce petit train qui parcourait les campagnes et ainsi découvrir la fantastique histoire du train Zaman.
Monsieur Joseph-Emmanuel Zaman
Né le 10 mai 1812, il devint orphelin à l’âge de 14 ans et sera élevé par son oncle, le chevalier François Wyns de Raucourt, qui en fera son légataire universel.
Il épousa la Comtesse Cécile du Monseau de Bergendael en 1840 ; de cette union naquirent 4 enfants.
Maître des carrières de Quenast, industriel connu et respecté, gestionnaire avisé, il sera fait écuyer en 1858 par Léopold Ier et recevra la distinction honorifique de « chevalier de l’Ordre de Léopold » par Léopold II en 1867.
Sénateur de Nivelles de 1857 à 1870, il développera la vingtaine de carrières que sa société rachète au fil des ans, allant jusqu’à employer 1400 ouvriers. En parallèle, il transformera un simple dépôt de matériel roulant en lieu de construction de matériel ferroviaire. Ses locomotives seront primées lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1855.
Il arrivera à Wasseiges en 1860 et fera l’acquisition du château et de la ferme attenante, mais également de la ferme du Soleil et d’un moulin à vent. Il devient ainsi propriétaire de plus de 500ha de terres et de bâtiments agricoles. Au sommet de sa gloire, Joseph-Emmanuel est surnommé le « Baron Zaman ».
Pourquoi une ligne de chemin de fer dans notre région ?
Après le développement des carrières et l’acquisition de sociétés ferroviaires, Zaman voit une nouvelle opportunité dans l’exploitation des betteraves sucrières, grâce à ses nouvelles propriétés et ses terres agricoles propices à ce type de culture. Il constitue en mai 1864, avec quelques associés, la société « Zaman & Cie », une association pour la fabrication de sucre. La « sucrerie d’Embresin* » (*orthographié ainsi à l’époque) devient la plus importante et la mieux équipée de la région. Il s’associe également plus tard avec quelques propriétaires de terres à betteraves à la création de la sucrerie de Boneffe.
Mais vu la position géographique des sucreries, l’acheminement des matières premières et des productions se fait par attelage pour rejoindre la ligne de chemin de fer Namur-Tirlemont, en gare de Noville-Taviers. Ce qui freine la rentabilité de l’entreprise. Comme rien n’arrête le baron, il décide donc de créer sa propre ligne de chemin de fer entre Noville-Taviers et Ambresin. Il obtient en 1878 la concession de la construction et de l’exploitation d’une ligne de chemin de fer à voie étroite pour une durée de 40 ans. La ligne du petit train Zaman est née.
Les travaux seront réalisés en un an, et le petit train Zaman fait sa première sortie le 1er septembre 1879. Le coût de la construction de la ligne lui revient à 298.500 francs, ce qui représenterait aujourd’hui la somme de 1.819.118,7 € !
Le quotidien du petit train
Rapidement, ce petit train fait partie du quotidien des habitants. Il n’était donc pas rare d’entendre parler de ses aventures !
Comme cette histoire des arrêts en rase-campagne, entre les stations officielles, qui permettaient aux gens de descendre ou monter. Comme ces contrôleurs qui, assez compréhensifs, laissaient monter les enfants gratuitement.
Ou encore ces libertés prises par rapport aux horaires annoncés : lors de la fête du village de Taviers, un train spécial quittait la localité à 20h30. On sifflait le départ à l’heure dite. Un second rappel se faisait à 20h45, pour les retardataires. Mais finalement, il n’était pas loin de minuit lorsque le départ définitif était sifflé !
A la nouvelle année, le personnel et les voyageurs prolongeaient leurs arrêts pour aller prendre un verre tous ensemble !
Devenu véritable attraction, le petit train Zaman devient but d’excursion, les gens venaient de loin pour l’emprunter. On édite même des cartes postales représentant cette attraction ferroviaire !
Une vie éphémère pour la ligne, la faillite pour son créateur
La concession et l’exploitation de la ligne restera dans la famille Zaman jusqu’à sa fin, en 1917, date à laquelle les Allemands s’emparent de la ligne, la démantèlent et envoient les rails ainsi que le matériel roulant en Allemagne. Le baron Raoul d’Huart, beau-fils de Joseph-Emmanuel Zaman, sera le dernier gestionnaire de cette ligne qui a permis un développement économique et un rayonnement de toute la région.
Zaman, quant à lui, subit de très lourdes pertes lors du krach boursier de 1884. Le baron est ruiné. Obligé de vendre la quasi-totalité de ses biens à près de 72 ans, il se réfugie chez sa fille cadette, Anne, et son gendre, Raoul d’Huart. Il mourra en 1894, à l’âge de 82 ans, et sera inhumé dans la crypte familiale de l’ancien cimetière de Forest.
Dès 1923, la ligne sera remise en ordre pour répondre aux nouvelles techniques d’exploitation par la SNCV (Société Nationale des Chemins de fer Vicinaux). Le pont de Branchon, qui avait survécu, sera démonté cette année-là. Les voyageurs pourront de nouveau emprunter cette ligne secondaire dès 1926. Figurant sous le n°535 dans les indicateurs de la SNCV, elle restera des années durant dans l’esprit des villageois, la ligne du petit train Zaman.
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PHOTOS AERIENNES / IGN
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A plusieurs endroits, on distingue encore très précisément les remblais sur lesquels étaient installés les rails de la ligne de train. Mais le meilleur témoignage reste les petites gares que l’on retrouve le long du parcours.
Elles ont toutes subi un certain nombre de changements avec le temps.
La gare de Boneffe, la première a avoir été construite et modifiée, agrandie selon les besoins.
Ouvrage architectural d’envergure pour l’époque, le viaduc de Branchon surplombait le centre du village afin d’éviter les dénivelés que la puissance des machines n’aurait permis d’aborder. Zaman fit donc construire un viaduc d’une hauteur de 5,50 mètres, d’une longueur de 127 mètres, un travail remarquable pour l’époque ! Il ne reste malheureusement aujourd’hui que quelques photos de cet édifice majestueux qui faisait la fierté des villageois de l’époque. Une visite royale avait d’ailleurs permis à Léopold II, proche du baron Zaman, de découvrir les lieux et d’emprunter la ligne.
Comme celles de Branchon, où un étage fut ajouté au bâtiment d’origine. C'était un lieu de stockage et de matériaux transportés mais aussi un lieu d’accueil pour les voyageurs.
La gare de Wasseiges, qui était un bâtiment de recettes et de remise, fut remaniée elle aussi. On y ajouta par la suite un logement.
Construite en 1864, elle est une des plus importantes sucreries de la région, et certainement, une des plus à la pointe des progrès industriels. C’est essentiellement la famille Gilain, associé de Zaman pendant des années, qui gérera l’infrastructure et permettra son développement. Ses activités prendront fin en 1975.
C’est sur le site même que se trouvent les dépôts du train Zaman. Les installations, aujourd’hui privées, comprennent les abris, l’atelier d’entretien et les remises pour les voitures. L’ensemble constitue la plus belle trace toujours existante de ce passé ferroviaire.
Enfin, la gare d’Ambresin, dernière gare de la ligne, qui se situe à l’endroit où la ligne de chemin de fer traversait la route pour rejoindre la sucrerie par l’arrière.
Les ponts sont mis en place pour contourner de trop importants dénivelés du paysage. Celui-ci est composé de murs en maçonnerie de briques, qui sont d’origine. Un tablier métallique sera ajouté lors de la mise en place du vicinal et la reconversion de la ligne après la première guerre mondiale.
Propriété de la famille de Zaman à partir de 1860, le château de Wasseiges sera brûlé par les Allemands à l’annonce de la défaite de la seconde guerre mondiale. Il ne subsiste aujourd’hui que la ferme, actuellement transformée en logement, la maison du jardinier et les étangs le long de la Mehaigne.